« SANS VISIBILITÉ ÉCONOMIQUE, NOUS HÉSITONS À GROSSIR »
Dans le cadre de l'installation d'un nouvel associé, le Gaec La Forgette, à Bournezeau, en Vendée, s'interroge sur ses possibilités de développement, entre contraintes réglementaires, incertitudes économiques et volonté de limiter l'endettement.
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ALORS QUE FLORIAN BROCHET, LE FILS DE L'UN DES TROIS ASSOCIÉS du Gaec familial La Forgette, s'est installé sur l'exploitation le 1er avril, les agriculteurs s'interrogent. Quels sont les axes de développement à privilégier les prochaines années : faire plus de lait, monter un atelier de taurillons, développer la production de semences ? « L'automne dernier, nous avons repris 60 ha de terres, expliquent André, Louis-Marie et Grégory Brochet, trois des quatre associés du Gaec. Il y avait une opportunité à saisir dans ce secteur où la pression foncière est forte. En effet, dans la plupart des exploitations, il y a des jeunes et de la relève. Les bâtiments présents sur cette exploitation ne pourront malheureusement pas être valorisés car ils ne sont ni fonctionnels ni aux normes. » En plus de nombreux éléments techniques et économiques, la réflexion doit intégrer un facteur supplémentaire lié à l'autorisation d'exploiter dans le cadre du schéma départemental de contrôle des structures.
« QUOI QU'ON FASSE, ON EN PREND POUR DIX ANS EN AMORTISSEMENT »
« Pendant les cinq prochaines années, nous ne devrons pas dépasser le seuil de 1,2 équivalent unité de travail agricole par associé, soit 4,8 éq. UTA pour l'ensemble du Gaec. Un UTA équivaut à 230 000 litres de lait ou 100 ha de céréales. À trois associés, nous étions déjà à 4,2 éq. UTA. Il ne nous reste donc que 0,6 éq. UTA de marge de manoeuvre, soit 60 ha. » Ce qui correspond juste à la surface reprise. Cette contrainte supplémentaire complique la réflexion engagée en vue de l'installation de Florian. « Ce dispositif demandé par la profession est parti d'un bon sentiment de favoriser les jeunes agriculteurs, mais il plombe nos projets pendant cinq ans, regrette la famille Brochet. Alors qu'il est question de régionaliser les seuils d'équivalence en Pays de la Loire, dans quel sens ira le nouveau dispositif ? Sera-t-il moins contraignant ? Pour l'instant, les règles en place s'imposent, sous peine de perdre l'autorisation d'exploiter les terres reprises. »
Initialement, les associés avaient étudié la possibilité de monter à 125 vaches (soit 30 vaches supplémentaires). Le coût d'un agrandissement de la stabulation, avec un nouveau bloc de traite (une TPA 2 x 10), une nurserie et un racleur automatique, avait été chiffré à 500 000 €. Cet investissement à amortir sur quinze ans comprenait la construction d'un bâtiment pour les génisses et des taurillons. Il prévoyait également l'augmentation des capacités de stockage d'effluent de six mois. « Il nous manque en effet un mois et demi pour stocker le fumier. Des décisions seront à prendre dans les trois années suivant l'installation de Florian, d'ici à 2017 ».
« LE PRIX DU LAIT EST PASSÉ DE 410 €/1 000 L À 327 € ENTRE DÉCEMBRE ET JANVIER »
Avec une production de 250 000 litres de lait en plus et un prix à 300 €/1 000 l, le produit supplémentaire dégagé avait été établi 75 000 €.
« Avec cet argent, il faut couvrir les charges d'amortissement (27 000 € par an), les frais financiers et le coût de production du lait supplémentaire, notent les associés. Nous aurons un bel outil de production, mais nous ne sommes pas sûrs de dégager du bénéfice. La prise de risque par contre est forte. Sur le prix du lait, nous n'avons aucune visibilité. »
Dans une région où il n'y a que deux collecteurs (Ucal et Terra Lacta), le prix moyen payé par la laiterie sur la campagne 2013-2014 s'est établi à 372 €/1 000 l avec un TB de 42,7 et un TP de 33,05, contre 327 € l'année précédente. La matière grasse est bien payée car la laiterie fait du beurre, de la crème et des fromages. En début d'année 2015, les perspectives de rémunération étaient en baisse. « Après être monté à 410 €/1 000 l en décembre, le prix a chuté : en janvier, nous avons été payés 327 €/1 000 l en A et 277 € en B. Le volume A correspond chaque mois à 8,5 % de la référence annuelle de 800 000 l, soit 67 000 l. Au-delà, le lait est rémunéré en B, sauf en juillet, août et septembre. »
Un projet plus modeste consisterait à rallonger la stabulation des laitières en gagnant une quinzaine de places supplémentaires sans toucher au bloc de traite. Avec l'actuelle 2 x 8 en épi avec décrochage, les 95 prim'holsteins sont traites en une heure quarante-cinq le matin et une heure trente le soir (nettoyage compris). L'ancienne grange traditionnelle vendéenne attenante pourrait être aménagée à peu de frais. Il en coûterait 20 000 à 25 000 €. En étalant davantage les vêlages (actuellement entre juillet et janvier), il serait possible d'optimiser les places disponibles dans le bâtiment actuel : la stabulation à logettes paillées de 98 places (dont 4 utilisées comme box de vêlage) est bien pleine. Dans ce scénario, la question du stockage d'effluents pourrait être résolue en utilisant en fumière un silo-couloir pendant le mois et demi où ce dernier est vide. Les jus du silo déjà canalisés seraient envoyés dans la fosse à lisier. Les effluents pourraient être épandus régulièrement à l'aide d'asperseurs dans les parcelles attenantes. Par contre, la couverture de la fosse à lisier des canards (30 000 €) serait à réaliser. L'idée de monter un atelier de taurillons a été abandonnée dès que les éleveurs ont commencé à aligner les chiffres. « Le but était de valoriser nos veaux mâles vendus pas cher. Quitte à construire un bâtiment pour les jeunes bovins, nous avons pensé qu'il serait intéressant de le prévoir plus grand pour abriter des génisses et des vaches taries qui manquent actuellement de place. »
« DÈS QU'ON DOIT INVESTIR DANS DES BÂTIMENTS, LA RENTABILITÉ EST ALÉATOIRE »
Compte tenu de l'investissement à prévoir (40 000 € pour 40 places de taurillons et 40 000 € pour les génisses), les éleveurs ont renoncé au projet. La rentabilité dégagée était trop faible. « Avec une perspective de 210 € d'EBE par taurillon (cf. CerFrance), il ne restera pas grand-chose en matière de marge. Dès qu'on doit investir dans de nouveaux bâtiments, la rentabilité est aléatoire. »
Producteur de canards depuis 1992, le Gaec n'aurait-t-il pas une carte à jouer en développant une production hors-sol ? « Aujourd'hui, les amortissements des bâtiments neufs se font sur quinze ans avec des prix de reprise des animaux et des marges peu attractives, pointe André, l'associé qui suit cet atelier. Toutes ces dernières années, pour conserver une marge positive, il a fallu augmenter le chargement. » Malgré cela, la marge brute de l'atelier canards au mètre carré n'a cessé de diminuer : de 42 € en 2010-2011 à 35 € en 2012-2013 et 26 € en 2013-2014. « Dans certains lots, il y a des problèmes et la gestion de l'atelier est prenante en temps, constate Grégory. Par ailleurs, investir dans un hors-sol poserait la question du stockage des effluents avec les contraintes réglementaires et financières toujours plus fortes malgré l'intérêt agronomique. Les effluents de canards sont classés en type 2 comme ceux de poulets ou de dindes, ce qui limite les périodes d'épandage et les cultures pouvant recevoir cet effluent. » Produits dans des bâtiments qui ont vieilli, les canards seront vraisemblablement arrêtés quand Louis-Marie partira en retraite. Le nouvel associé, Florian, est plus porté sur l'élevage laitier que sur la conduite des tracteurs et l'élevage de canards. Les agriculteurs se sont également interrogés sur les énergies renouvelables. « Il y a deux ans, nous avons eu des propositions pour faire de la méthanisation, expliquent-ils. Mais la lourdeur du montage du dossier, le coût, le temps à passer chaque jour pour approvisionner et surveiller le méthaniseur, ainsi que le passage des effluents de type 1 en type 2 (1) nous a fait reculer. Idem pour le photovoltaïque sur lequel nous avions engagé une réflexion il y a six ans, juste avant que les prix de l'électricité ne baissent, ce qui nous a calmés. Dans tous les cas, ce sont de gros investissements. »
« IL FAUT AUSSI PENSER À LA RELÈVE, NE PAS L'ENDETTER »
Or, il faut aussi penser à la transmission. André a 53 ans, Louis-Marie 50 ans. Dans dix ans, ils prendront leur retraite. Si le Gaec investit lourdement, les emprunts seront à peine payés quand ils se retireront. « Pour les jeunes, cela représentera un gros capital à reprendre, observe Louis-Marie. Il ne faut donc pas trop se tromper. Grossir ou se diversifier, c'est bien beau, mais il faut penser à la main-d'oeuvre disponible et à la charge de travail. On voit de très grosses unités se monter. On se demande comment les gens vont gérer tout ça. Comment vont-ils faire face en cas d'imprévu technique, humain, ou financier ? »
« NOUS ALLONS DÉVELOPPER LES CULTURES SPÉCIALISÉES GRÂCE À L'IRRIGATION »
Alors que les 60 ha repris cet automne ont été emblavés en cultures de vente, les éleveurs souhaitent optimiser au maximum leur atelier lait existant. Il serait envisageable de faire progresser de 300 à 400 kg la moyenne laitière des vaches sans coût supplémentaire. Avec l'irrigation accessible depuis l'été dernier, la qualité et les rendements du maïs ensilage (entre 6 et 12 t de MS à l'hectare) vont s'améliorer. Faire plus de lait entraînerait toutefois une baisse d'équivalence sur les cultures et nécessiterait donc une réduction des surfaces de vente. Pour éviter d'en arriver là, peut-être serait-il possible de mieux valoriser les surfaces de prairies ou de légumineuses. Le Gaec compte également développer les cultures spécialisées. « En zone de répartition, nous pourrons utiliser 50 000 m3 d'eau par an, ce qui peut nous permettre d'arroser 35 ha. C'est une opportunité pour libérer un peu de surfaces pour les cultures de vente ou autres fourrages. » La coopérative vendéenne propose des contrats pour faire de la mogette, une spécialité locale. Le Gaec projette également d'accroître la surface de céréales semences qu'il cultivait déjà (22 ha d'orge et de blé en 2014) en diversifiant les espèces (triticale, ray-grass et colza). « En céréales, nous touchons une prime de multiplication de 30€/t et une prime de stockage de 6 €/t. Hormis le coût supérieur des graines, la culture n'entraîne pas de charges supplémentaires par rapport aux céréales classiques. Ce sont là de petites niches où il y a quelques milliers d'euros supplémentaires à gagner ». En attendant d'y voir plus clair.Tous les bâtiments de l'exploitation (stabulation laitière, canardière) sont payés. À part l'irrigation, le Gaec n'a plus de gros emprunts. C'est un atout pour réfléchir sereinement.
(1) Sauf en cas d'investissement dans un séparateur de phase.
Les vaches sont en ration maïs (4/5e)-herbe avec pâturage au printemps et du stock (jusqu'à 6 mois par an pour faire face aux sécheresses traditionnelles d'été et sécuriser les rations d'hiver).
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